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Ministère de l’intérieur : quand la « voix officielle » s’exprime

Au travers du récit immersif de Camille Chaize, on se glisse dans les habits de porte-parole au Ministère de l’intérieur. Un rythme effréné, des prises de parole scrutées de près, de nombreux déplacements et une proximité avec le monde politique. Un point de vue rare sur cette fonction illustré par Mathieu Sapin.

Camille Chaize a été porte-parole du Ministère de l’Intérieur pendant 5 ans. Elle a décidé de faire ses cartons au moment des législatives anticipées de 2024 et a démissionné en janvier 2025. En quoi son rôle a-t-il consisté à Beauvau ? Elle nous révèle son quotidien et nous livre également ses réflexions. Le tout, agrémenté d’illustrations signées Mathieu Sapin.

S’exprimer : Le poids des mots, l’équilibre d’une funambule

Camille Chaize a le sens de l’engagement. D’abord sapeur-pompier réserviste, elle est reçue ensuite à l’école des commissaires de police. Elle fait ses armes au sein du service communication de la police nationale. En 2019, elle franchit le portail du Ministère de l’intérieur. Elle y restera 5 ans comme voix officielle, la première femme à ce poste et la première qui n’est pas journaliste.

Ce livre est comme un « carnet de voyage » lui permettant de se retrouver après ce tourbillon où elle a eu la sensation d’être « composée de différentes pièces telle une mosaïque » confie-t-elle. A la lecture, on se rend vite compte de la difficulté de la tâche. Devenir porte-parole, c’est apprendre à jongler entre l’institutionnel et le monde politique. S’exprimer, éclairer, « maintenir la confiance entre l’Etat et les citoyens » en cherchant les bons mots, la nuance. Tous les jours, c’est être au confluent de l’administration et la politique. Elle explique avoir mis toute son énergie dans ce rôle exercé sous l’autorité d’un Ministre : Christophe Castaner, Gérald Darmanin puis Bruno Retailleau.

Elle est intervenue à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, a accompagné des journalistes durant des manifestations au plus près des forces de l’ordre ou s’est déplacée à Marseille pour la venue du pape ou lors d’actions liées à l’immigration.

Quel travail aux côtés de personnalités politiques ?

Son premier entretien s’est déroulé avec Christophe Castaner. Camille Chaize dit qu’il lui a fixé deux objectifs « Transparence et vérité ». 15 jours après sa nomination, Gérald Darmanin l’a reçue en entretien afin de lui demander notamment de réaliser des « vidéos percutantes » pour expliquer des actions ou des éléments importants aux Françaises et Français. Une question lui trotte en tête à ce moment, comment exister « dans l’ombre d’une personnalité aussi médiatique » ? se remémore-t-elle.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la porte-parole ne voit pas tous les jours le Ministre afin de faire un point, il est davantage avec ses conseillers. Elle participe à quelques réunions en sa présence, échange parfois des messages. Camille Chaize distingue leurs deux rôles. Le sien fondé sur des éléments afin que chacun se forge sa propre opinion. Le politique selon elle va « chercher à convaincre. »

Travailler au même endroit ne veut pas toujours dire être d’accord. « Les fonctionnaires nous sommes des non-alignés de la politique ». Elle parle plutôt de complémentarité. Deux habitudes l’ont particulièrement dérangée, celle d’une prise de parole ministérielle instantanée suite à un évènement et l’utilisation des « éléments de langage ». Sur cette problématique, elle dit s’être écartée de certains argumentaires préparés à l’avance et repris partout, un détachement salué selon elle par le cabinet. Un soutien qu’elle assure avoir aussi obtenu lorsque sa réaction dans les médias n’a pas plu à un syndicat de police. Elle considère que les personnalités politiques peuvent prendre plus en compte la réalité que l’administration sur certains sujets.

Et un planning chamboulé régulièrement, avec des interventions programmées au dernier moment en fonction de l’actualité : Covid, émeutes,…et des repas en famille ou entre amis qui n’iront pas jusqu’au dessert. De nombreux voyages aussi, et pas toujours accompagnée par le Ministre et ses conseillers. Une nage en eau vive donc.

Quand son expérience nourrit ses réflexions 

Camille Chaize puise aussi dans son expérience afin de partager des réflexions sur diverses thématiques. La féminisation de la police et de la gendarmerie y est évoquée. Même si elle y voit des avancées, elle constate que du chemin reste à parcourir particulièrement sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. 

En 2022, le périmètre du Ministère de l’Intérieur a été élargi aux Outre-Mer. Elle s’est donc rendue en Guyane, en Guadeloupe, à Mayotte ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon. Elle y observe que ce sont les premiers territoires français a être fortement impactés par le changement climatique. 

Elle consacre plusieurs pages aux Préfets. Elle les a notamment conseillés, les aidant dans leur communication. « L’impartialité et l’apolitisme des préfets sont essentiels. Ils ont la neutralité de l’Etat qui rassemble pour régler les différends […] En faire des sujets politiques, constituerait un grand danger démocratique qui sonnerait le glas de l’intérêt général qui les guide actuellement » argue-t-elle.

L’instabilité politique l’a incitée à démissionner. Après les élections européennes, et l’annonce de la dissolution, elle se prépare à partir car si le RN arrive au pouvoir elle ne se voit pas continuer. Cela ne s’est pas produit mais elle a quand même quitté Beauvau. Elle s’interroge sur les changements que cela produirait dans son administration.

Camille Chaize nous dévoile une autre facette du Ministère de l’Intérieur en retraçant son parcours en tant que porte-parole. Une fonction médiatique et restant pourtant dans l’ombre. A conseiller à celles et ceux souhaitant en savoir plus sur ce rôle moins connu !

A lire également  : Livres sortis en mai/juin

Porte-parole. Réflexions personnelles de la voix officielle du Ministère de l’Intérieur. Camille Chaize, dessins de Mathieu Sapin, Editions Novice, 22,90 €

Livre reçu en SP

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Châteaux de la République : Le trousseau de clés de Fabien Opperman 

Elysée, Lanterne, Fort-Brégançon sont les résidences officielles de la Présidence de la République, discrètes mais bien connues. D’autres « châteaux » jouent ou ont joué un rôle important. Fabien Opperman nous donne les clés de ces lieux avec son ouvrage sorti en 2019 Dans les châteaux de la République. le pouvoir à l’abri des regards  (Tallandier).

Parmi les résidences de la République, il existe bien entendu l’Elysée, palais référence en matière de pouvoir en France. Le Fort-Brégançon ou la Lanterne sont d’autres sites dont on entend parler. Le saviez-vous ? Certains « châteaux » sont aussi mis à disposition du Premier Ministre et du Ministre des Affaires Etrangères. Des résidences sont toujours utilisées, d’autres ont disparu du « catalogue ». Fabien Opperman nous fait franchir leur seuil au travers de descriptions et d’informations en s’appuyant sur des archives inédites et plusieurs témoignages. On déambule ainsi dans des endroits privilégiés où se jouent des épisodes marquants et moments privés.

Du faste à la désuétude

Nombreuses sont les résidences liées à la République et à des figures politiques. Leur nombre a évolué au fil des décennies. Commençons  par Versailles et plus précisément par le Grand Trianon et l’aile Trianon-sous-bois. Depuis la naissance de la République, des figures politiques ont investi ce décor royal. De Gaulle a notamment marqué de son empreinte ce lieu avec une restauration du Grand Trianon. Il a été d’abord délaissé en 1999 suite à la décision de Jacques Chirac puis abandonné sous Nicolas Sarkozy ayant confié la gestion à l’Etablissement public du Château de Versailles. Tout près, La Lanterne, qui elle est toujours d’actualité et où séjournent les Présidents de la République depuis 2007 tout comme la Fort-Brégançon dans le sud de la France.

Continuons la visite avec comme guide l’historien Fabien Opperman. Direction Rambouillet où se rendaient les Présidents l’été du XXe siècle jusqu’aux années 50. Son nom n’est aujourd’hui plus mentionné. Marly, un pavillon de chasse a quant à lui été rattaché à l’Etablissement public du musée et du Château de Versailles. Plusieurs résidences ont été données à l’Etat comme Champs-sur-Marne et Souzy-la-Briche. Le premier était devenu un incontournable où logeaient les chefs d’Etat africains en visite en France dès les années 60. 10 ans plus tard, il a été restitué au Ministère de la Culture. Nicolas Sarkozy a souhaité céder le second mais les dispositions testamentaires des époux Simon interdisaient un autre usage que résidentiel. 

J’ai découvert avec ce livre, Vizille. Le Président Doumergue s’y est installé en 1925 en été. « En décembre 1971, une loi de finances autorise l’Etat à céder gratuitement le Château au Département de l’Isère » nous apprend l’auteur.

En revanche, une autre résidence continue de voir les voitures arriver. Elle est rattachée au Quai d’Orsay. Le Ministre des Affaires étrangères dispose d’un pavillon à la Celle-Saint-Cloud.

On constate donc que certaines autrefois au premier plan sont tombées en désuétude.

Pouvoir, diplomatie, villégiature

Ces résidences ont été plébiscitées pour diverses occasions. Des hauts-lieux de pouvoir marqués par la diplomatie. Cela reste vrai sous les mandats d’Emmanuel Macron, car le Château de Versailles par exemple s’est transformé en salle de réception lors de la visite officielle de Charles III en France et le sommet Choose France s’y est de nouveau tenu il y a quelques semaines. Le Grand Trianon a été rénové sous le Général de Gaulle afin d’y recevoir les chefs d’Etat étrangers. François Mitterrand y a aussi organisé le sommet du G7. 

A Rambouillet s’est déroulé un G6 en 1975 durant le mandat de  Valéry Giscard d’Estaing. On l’a vu plus tôt, Champs-sur-Marne était aussi pensé comme un lieu diplomatique. La Celle-Saint-Cloud a été transformé en outil diplomatique et culturel par Laurent Fabius. Une dynamique arrêtée par Jean-Marc Ayrault. Depuis 2017, Emmanuel Macron y a organisé deux temps d’échange importants.

Rambouillet Marly et Chambord ont été les théâtres de parties de chasse. Jacques Chirac a supprimé les chasses présidentielles de Marly et Rambouillet. Souzy-la-Briche, le nom vous dit peut-être quelque chose ? Il a abrité la vie secrète de François Mitterrand ! Auparavant à la disposition du Président de la République, il a été attribué aux Premiers Ministres. Jean-Marc Ayrault y est venu quelques fois tout comme Bernard Cazeneuve. Vizille était aussi un lieu de villégiature mais qui n’a pas su convaincre les Présidents.

J’ai beaucoup aimé cette flânerie historique dans ces résidences où pouvoir, diplomatie et intrigues s’entremêlent. 

Dans les Châteaux de la République, le pouvoir à l’abri des regards, Fabien Opperman, Tallandier, 20,90 €

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La ville, moteur du sursaut politique ?

Dorian Dreuil et Marinette Valiergue, sont experts à la Fondation Jean Jaurès, un laboratoire d’idées axé sur le progrès et la démocratie dans le monde. Ils viennent de publier à la mi-mai Les villes, nouvelles fabriques démocratiques ? (L’Aube). 

En France, élections après élections, la participation des Français est en berne. Sauf en 2024, en effet les législatives ont incité les électeurs à se rendre aux urnes, un regain jamais vu depuis 1997. Petite éclaircie dans un climat de « défiance politique » qui s’est installé. Comment relancer l’engagement des citoyens ? Et si la solution venait des collectivités locales ? Cet ouvrage se penche sur la question et nous propose d’observer diverses initiatives pouvant devenir selon les auteurs des solutions face à ce défi.

Les villes pionnières en innovations démocratiques

« 78 % des Français estiment que « la démocratie ne fonctionne pas bien »» rappellent les auteurs en reprenant les chiffres de la 12e édition de l’enquête Fractures Françaises (Ipsos pour le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne, novembre 2024). Un constat visible au niveau national mais aussi à l’échelon local. « La fièvre de la « démo-anxiété » gagne peu à peu les conseils municipaux » soulignent-ils. Les données sont édifiantes, depuis les municipales de 2020, 2400 maires ont démissionné et près de 57 000 sièges de conseillers municipaux restent vacants. Dorian Dreuil et Marinette Valiergue voient les prochaines élections municipales de 2026 comme une possible porte d’entrée vers un sursaut politique. 

Cette affirmation découle d’observations et d’analyses montrant que les villes ont toujours été innovantes. « La conviction qui forge ce livre est que si les villes ont inventé la démocratie alors c’est de là que la démocratie peut renaître » arguent-ils.

Trois chantiers à rénover

Dorian Dreuil et Marinette Valiergue déroulent leur réflexion au travers de trois chapitres identifiant des chantiers à mener. Ils concernent les élections  (listes citoyennes,…), la participation (budget participatif, votations,…) et la délibération (assemblées citoyennes,…). 

Les deux auteurs évoquent les points forts et les obstacles rencontrés aujourd’hui. Ils présentent des exemples dans la drôme, à Rennes, à Paris mais aussi dans le monde. Ainsi, nous voyons également des idées mises en place dans des villes aux Etats-Unis, en Norvège ou encore en Belgique. 

Leur ouvrage se veut tel une boîte à outils dans laquelle piocher pour renforcer le lien entre élus et citoyens. Un livre enrichissant et facile à lire.

Les villes, nouvelles fabriques démocratiques ? Dorian Dreuil, Marinette Valiergue, Editions de l’Aube, 6,90 €

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Quinquennats Macron : L’Elysée, entre labyrinthe et phénomène de cour

Olivier Beaumont, journaliste au Parisien- Aujourd’hui en France livre une boussole face au dédale qu’est le Palais de l’Elysée. Sa manière d’observer les mandats d’Emmanuel Macron au travers des pièces est le fruit d’un travail d’un an et demi. Son enquête, La Tragédie de l’Elysée. Dans l’enfer des quinquennats Macron,(Robert Laffont) regorge d’anecdotes inédites recueillies auprès de 70 témoins environ dans un contexte politique plus que perturbé entre dissolution et changements de Premiers ministres.

365, c’est le nombre de pièces structurant le palais de l’Elysée. Soit autant que celui des jours dans l’année et on peut dire que le rapport au temps est très lié aux quinquennats d’Emmanuel Macron. Le Président de la République surnommé « le maître des horloges » a disposé dans son bureau un sablier millénaire et souvent une petite horloge amenée de salon en salon précède son entrée. Dans ce lieu donc, un tic tac qui s’affole souvent au moment de traverser des crises notamment les élections européennes et les législatives anticipées ainsi que l’instabilité « Matignon » avec une succession de Premiers Ministres ces derniers mois.

Une fourmilière isolée

L’ Elysée conduit à un isolement souligne Olivier Beaumont. La première explication tient de l’architecture. Une surface de 11 000 m2, un nombre de pièces impressionnant dans le bâtiment principal et deux ailes « Est » et « Ouest ». Des couloirs, des escaliers, nombreux bureaux dédiés aux conseillers, en clair un vrai labyrinthe. Emmanuel Macron dispose de deux bureaux, le premier officiel dans le salon doré, le second installé dans le salon d’angle pour le travail au quotidien. Tout le monde s’affaire «chacun dans son bureau, chacun dans son couloir » entraînant parfois un sentiment de « maison fantôme » comme le décrit un ancien conseiller. 

En ouvrant les fenêtres, il est quasiment impossible d’entendre les bruits de la ville, pourtant l’ancien hôtel d’Evreux est situé dans un quartier très animé de Paris à quelques mètres des champs-Elysées ! Une évolution dans des murs tricentenaires conduisant à un sentiment chez les observateurs d’une perte de contact avec l’extérieur. « Les français ne voient pas tout ce que j’ai fait pour eux. Ils ne m’aiment plus… » confie lui-même un jour devant un ami Emmanuel Macron. 

Un théâtre du pouvoir et des courtisans

Dans ce livre, une déambulation dans les quinquennats Macron au fil des pièces. Le Salon des ambassadeurs notamment où le conseil des ministres se tient chaque mercredi. On apprend que des brouilleurs de téléphones ont été installés par le locataire actuel afin de conserver les secrets de ce rendez-vous hebdomadaire. Malgré ce dispositif, des petites phrases lâchées par des participants finissent souvent dans la presse. Le palais de l’Elysée est donc une forteresse avec quelques fissures dans les murs ! 

Olivier Beaumont revient également sur la dissolution préparée en amont et non improvisée au soir des résultats des élections européennes. Tout était prêt, un Plan nommé « Clisthène » avait vu le jour secrètement, il visait à prévoir la narration de cette décision. Pour les Législatives anticipées, une bannière « Fédérations » était même envisagée réunissant les centristes et des élus de droite, rapidement abandonnée. D’autres discussions parfois tendues s’y sont aussi déroulées comme celles sur la loi immigration et la réforme des retraites. 

L’ Elysée laisse aussi vivre un phénomène de cour. Emmanuel Macron se trouvant au 1er étage, il faut donc emprunter les escaliers, une ascension vers le Président. De nombreuses personnes gravitent autour de lui et les regards convergent aussi vers le chef d’Etat. Certains bureaux de collaborateurs donnent sur la cour où chaque déplacement est scruté car c’est le seul endroit où ils peuvent apercevoir Emmanuel Macron, en effet ils le croisent rarement au quotidien. De plus, afin d’accéder à son bureau, il faut passer par celui du Secrétaire Général de l’Élysée qui était il y a encore peu de temps Alexis Kohler. Un vrai barrage à franchir. Alors la vie s’organise autour de la cour. On y voit les futures évictions et les adoubements. Un exemple ? Lorsqu’un conseiller auparavant convié dans la voiture du Président ne s’y installe plus, un signe que son départ est prochain ! 

Cet ouvrage se penche aussi sur le rôle de Bruno Roger Petit, conseiller mémoire et son influence dans l’aile Madame. Olivier Beaumont nous donne à voir un autre portrait d’Emmanuel Macron. Il dévoile plusieurs anecdotes jamais lues ailleurs, sur son côté épicurien, sur son travail, ses relations avec les Premiers Ministres. Une lecture que je recommande si on veut prendre le pouls du Palais de l’Elysée sous l’ère Macron.

La tragédie de l’Elysée. Dans l’enfer des Quinquennats Macron, Robert Laffont, 21 €

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A lire également : Un essai passionnant sur la notion de « présidentiable »

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Une plongée au Quai d’Orsay, Ministère des Affaires étrangères

[Chronique en différé] C’est d’un ouvrage sorti en 2016 dont j’ai eu envie de vous parler aujourd’hui. Il s’agit de La Face cachée du Quai d’Orsay écrit par Vincent Jauvert. Une enquête fascinante sur ce haut lieu de la diplomatie française.

Le livre est sorti il y a près de 10 ans mais dans ce contexte international chamboulé, j’ai souhaité vous partager une enquête réalisée par le journaliste Vincent Jauvert. Son ouvrage La Face cachée du Quai d’Orsay. Enquête sur un ministère à la dérive (Robert Laffont) nous permet d’arpenter les couloirs de ce Ministère des Affaires étrangères installé à cette adresse depuis la moitié du XIXe siècle. En parcourant les pages, l’auteur nous dévoile aussi le travail et la manière de le faire des ministres qui se sont succédé sans oublier le quotidien des ambassadeurs.

Près de 25 Ministres des affaires étrangères sous la Ve République

Vincent Jauvert s’est appuyé sur les témoignages d’une centaine de diplomates qui étaient en activité ou à la retraite. Ce travail s’est déroulé au moment où Laurent Fabius occupait les lieux en tant que Ministre des Affaires étrangères. A lire 10 ans après avec un peu de recul donc où désormais le nombre de Ministre des Affaires étrangères s’élève à environ 25. Seulement deux femmes ont accédé à cette fonction : Michèle Alliot-Marie et Catherine Colonna.

On croise dans ce livre, Dominique de Villepin, Hubert Védrine, Philippe Douste-Blazy ou encore Bernard Kouchner. Dans son enquête, le journaliste révèle que trois ministres du XXIe siècle ont eu des « bourdes à répétition ». Parmi les exemples cités, confondre deux pays, être un « ministre à contretemps » ou enchaîner les maladresses faisant « soupirer les diplomates » Les relations avec le Président de la République et les nominations sont aussi abordées, entre tensions et désintérêt parfois.

Des révélations sur le quotidien d’ ambassadeurs

C’est aussi l’occasion de voir de plus près le travail des ambassadeurs, de leurs équipes. Secrets, anecdotes, scandales, logements, rémunérations sont évoqués. Vincent Jauvert se penche aussi sur une « poignée de diplomates » se retrouvant régulièrement près du Quai d’Orsay, des énarques à l’« influence bureaucratique » fluctuante. 

Tous les ministres « de Juppé en 1993 à Fabius en 2015 » ont souhaité redynamisé le Quai D’Orsay avec chacun une grande réforme. On referme ce livre sous le quinquennat de François Hollande. Plusieurs années se sont écoulées, même si l’enquête n’est pas sortie récemment, elle reste une manière de plonger dans les coulisses de ce lieu de pouvoir !

La Face cachée du quai d’Orsay, Vincent Jaubert, Robert Laffont

A lire également : Un essai passionnant sur la notion de « présidentiable »

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Un essai passionnant sur la notion de « présidentiable »

Dans Présidentiable ?, Christian Le Bart professeur de sciences politiques livre un éclairage passionnant sur cette notion. Une condition qui prend de multiples dimensions.

Spécialiste des sciences politiques, Christian Le Bart enseigne à Sciences Po Rennes. Son livre Présidentiable ? (PUR) a été publié récemment. Il n’est pas rare d’entendre des personnalités politiques considérées « présidentiables » et d’autres non. Mais alors, comment cette caractéristique est-elle attribuée ? L’auteur y apporte une réponse avec une analyse pointue. 

Le poids d’un trio 

Au travers d’une approche sociohistorique, Christian Le Bart montre une évolution depuis le début de la Ve République. Trois acteurs jouent un rôle de premier plan.

Les partis politiques d’abord. Aujourd’hui, les primaires ont changé la donne en chamboulant « Le leadership présidentiel » obtenu après le « leadership partisan ». Un choix de candidat s’effectuant avec l’opinion publique mais laissant des interrogations par la suite sur la présidentiabilité.

Les élus locaux s’imposent toujours comme incontournables. Par le système des parrainages, 500 signatures sont nécessaires afin de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Et qui les octroient ? Les élus locaux et en majorité les maires.

Des « verdicts de présidentiabilité » comme Christian Le Bart les appelle sont partagés par les médias. Des journalistes et experts emploient sur les plateaux et dans les articles les termes « présidentiable » ou « présidentiabilité » en s’appuyant notamment sur des sondages. 

Une double dimension : institutionnelle et symbolique

Le second chapitre est axé sur les critères de sélection. Alors que le Président incarne et gouverne, ce qui entraîne une « centralité » de la figure présidentielle, les attentes sont jugées par Christian Le Bart comme étant « la quadrature du cercle ». Plusieurs caractéristiques sont  obligatoires. Ce ne sont pas seulement des conditions juridiques comme l’âge. Cela passe aussi par une manière plus subtile de commenter par des adjectifs choisis accordant ou non ce label. Les candidats pratiquant aussi « l’auto-présidentialisation ». 

Verticalité, horizontalité, proximité, charisme, ancrage territorial, surplomb, des critères parfois franchement paradoxaux. Une notion qui met également en avant une inégalité hommes/femmes. Christian Le Bart souligne qu’elles sont davantage considérées comme moins qualifiées pour cette fonction avec des critiques des commentateurs, des adversaires et même des membres de leur propre parti. Les « professionnels de la politique » étant aussi plus à même d’être « labellisés » plutôt qu’une personnalité venant de l’extérieur.

Un court essai précis nous aidant à y voir plus clair  !

Présidentiable ?, Christian Le Bart, Presses Universitaires de Rennes, 10 €

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A lire également  : Bande dessinée sur le travail de demain vue par 13 personnalités 

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Gilles Boyer : Matignon par le regard d’un Maître d’hôtel

Gilles Boyer connaît bien l’Hôtel de Matignon où il a été conseiller d’Édouard Philippe de 2017 à 2019. Député Européen, il est aussi auteur et a publié plusieurs ouvrages dont Dans l’ombre écrit avec l’ancien Premier Ministre, un livre adapté récemment en série diffusée sur France TV. Il a signé en 2019 Le maître d’hôtel de Matignon.

Un mélange subtil de fiction et de réalité

Son point de départ est sa rencontre avec Claude, Maître d’Hôtel de Matignon. À l’approche de la retraite il s’est confié sur son expérience et ses rencontres auprès de Gilles Boyer. L’auteur a conservé son prénom mais modifié son nom et écrit un roman axé sur ce personnage ayant connu 13 Premiers Ministres. «  Le récit que je fais de sa vie est très librement inspiré de la sienne. Merci à lui d’avoir pris le temps de me la raconter » souligne l’écrivain dès les premières pages.

La réalité et l’imagination car le second protagoniste Thomas n’existe pas…enfin il s’agit d’un conseiller novice du chef de gouvernement donc son travail est bien connu de Gilles Boyer. Thomas a foulé enfant la pelouse de cet hôtel particulier situé rue de Varenne, lieu de travail de son père, conseiller. Quelques années plus tard, c’est lui qui se retrouve embarqué dans ce rythme effréné.

Une ruche derrière le célèbre perron

À chaque passation de pouvoir, on a l’habitude de voir la cour, les micros et le célèbre escalier de Matignon. En revanche, que s’y passe-t-il ? Ce roman nous permet de ressentir l’atmosphère et c’est une véritable ruche qui se cache derrière les portes. Un ballet de personnages offre une chorégraphie hiérarchisée autour du Premier Ministre. 

Intendant, Premier Maître d’hôtel , maîtres d’hôtel, chefs de rang, Directeur de cabinet, conseillers entrent chaque jour dans la danse. Chacun a un rôle précis à jouer.

S’approcher des Premiers Ministres

Tout au long du roman, par l’expérience de Claude et l’entrée de Thomas, on accède à une visite teintée d’intrigues et de secrets. La fameuse plantation d’arbre de chaque célèbre locataire est décrite. On découvre aussi que Claude observe l’histoire politique en arrière-plan tout en étant une personnalité centrale de ce lieu de pouvoir. Plusieurs Premiers Ministres se retrouvent au fil des pages comme Rocard, Cresson ou Balladur.

Outre ses fonctions attendues, il s’occupe aussi des proches du Premier Ministre surnommé dans ce roman le «  Pacha » comme le capitaine d’un grand bateau, en écho au passage dans la Marine de Claude.  Une fonction assurée dans la discrétion et millimétrée que l’on a plaisir à découvrir au travers de ce livre.

Le Maître d’Hôtel de Matignon, Gilles Boyer, J-C Lattès

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A lire également : Pour Clément Beaune, la politique reste « belle »

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Pour Clément Beaune la politique reste « belle »

Clément Beaune désormais Haut-Commissaire au Plan a publié en février dernier Je dirai malgré tout que la politique est belle chez Stock. L’ancien Ministre se confie sur son parcours de l’Elysée aux Ministères et s’appuie sur son expérience afin de proposer des pistes pour l’avenir.

La politique dès l’enfance

Clément Beaune se livre sur la place de la politique dans sa vie et revient sur le moment où il a fait le « grand saut ». Enarque, il a d’abord fait partie des conseillers d’Emmanuel Macron au Ministère de l’Economie puis a participé à la campagne présidentielle. Il a ensuite été nommé conseiller spécial à l’Elysée sur l’Europe.

La politique a toujours été un sujet de discussion pendant les repas de famille durant son enfance. Et l’envie de jouer un rôle de premier plan s’est accentuée au fil des années. Après quelques déconvenues, Emmanuel Macron lui lance « Tu veux toujours faire de la politique ? ». Il fait alors son entrée au gouvernement en tant que Ministre délégué chargé de l’Europe puis il deviendra plus tard Ministre des transports. 

Une impression d’avoir « vécu en double »

Sa sortie du gouvernement correspond à son opposition à la Loi immigration. Il se rémémore cet épisode et donne les coulisses de son départ entre rumeurs et hésitations. En étant Ministre, Clément Beaune confie avoir eu l’impression « d’avoir vécu en double, d’avoir appris en triple » pendant ces 43 mois. Autre épisode marquant, la dissolution, il explique avoir été informé…en direct sur un plateau TV. Cette décision a selon lui conduit à une « immaturité politique généralisée ».

Sur sa vision de la politique, il argue qu’elle « est sale car changer un monde sale implique de se salir et belle parce qu’elle accepte de décrasser le monde sans nier sa noirceur ».

« La maladie présidentielle »

Depuis la Villa Médicis à Rome où il a écrit son livre, Clément Beaune s’est penché sur ce qu’il appelle « la maladie présidentielle ». Il déplore que tout soit tourné vers le Président de la République, les remontées de terrain qui pourraient être adressées à d’autres interlocuteurs, les reproches et les ambitions. « Il est en France bien plus fréquent et bien plus commode de charger le Président actuel ou de se préparer à le devenir que de mettre les mains dans le cambouis du réel et du quotidien. La maladie présidentielle nous tue ». 

Ainsi, il espère plusieurs évolutions comme inverser le calendrier Présidentielles/législatives, revaloriser le Parlement en passant au mode de scrutin proportionnel intégral. Dans son plaidoyer également, des référendums annuels. 

Son regard de Ministre des transports afin de proposer des pistes

Clément Beaune souligne avoir vu de près le problème des services publics lorsqu’il était Ministre des Transports. Pour lui, les trains « Intercités » incarnent ce « symbole du mal français ». Les usagers se sentent délaissés par rapport à ceux du TGV en raison du manque d’investissement sur ces lignes. En renforçant et développant des services de proximité qualitatifs plutôt que certains grands projets, il y aurait selon lui moins de vote aux extrêmes. Il partage ainsi des idées à mettre sur les rails comme le recrutement de soignants étrangers francophones et l’augmentation des effectifs dans plusieurs services publics. 

L’ancien Ministre consacre aussi des chapitres à l’écologie ou encore à la souveraineté de l’Europe et insiste sur la nécessité de mener des politiques écologiques et migratoires à l’échelle européenne. Il partage aussi son avis sur la place du symbole en politique. 

250 pages entre vécu personnel et perspectives.

Je dirai malgré tout que la politique est belle, Clément Beaune, Stock

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A lire également : 5 livres à retrouver chez les libraires en Avril

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Maires, le grand gâchis : le témoignage fort de Camille Pouponneau

Camille Pouponneau est devenue Maire de Pibrac en 2020, commune de 9000 habitants située près de Toulouse. Une fonction que l’élue trentenaire portait à bout de bras avant d’arriver à bout de souffle. Dans Maires, le Grand Gâchis publié chez Robert Laffont, elle parle de son engagement heurté par de multiples contraintes et de l’épuisement la conduisant à renoncer à son mandat.

Depuis les élections municipales de 2020, 2400 maires ont démissionné. Parmi eux, Camille Pouponneau. Ce livre « ne prétend aucunement énoncer une vérité, il est ma vérité » tient à souligner l’auteure dès les premières pages de Maires, le Grand Gâchis. Au travers de son témoignage, l’ancienne édile de Pibrac veut lever le voile sur le quotidien intense et compliqué de ces 35 000 élus en France. Elle brise aussi le tabou sur la santé mentale.

Un engagement impacté par une palette très large d’obstacles

Petite, Camille Pouponneau répondait « Présidente de la République » lorsqu’on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard. Après des études à Sciences Po, son envie de s’engager pour l’intérêt général s’est d’abord concrétisée en devenant Conseillère Départementale. Puis elle s’est lancée comme candidate aux élections municipales de Pibrac et a battu le Maire sortant. Portée par ses convictions et prête à mettre son énergie au service de sa commune, elle a pris place à l’Hôtel de ville où elle a adopté très vite un rythme soutenu en effectuant 70h par semaine. 

Elle raconte comment le chemin vers chaque décision, chaque projet est jonché d’obstacles.  Nombreuses normes à respecter, dialogue compliqué avec l’Etat en raison de plusieurs interlocuteurs, manque de moyens, intercommunalité au rôle prépondérant, autant de difficultés qu’elle décrit. Et un sentiment apparu au fil des mois : « l’impuissance ». Autre constat de Camille Pouponneau, un intérêt personnel prenant le pas sur l’intérêt général chez les citoyens et comme conséquence directe un vivre-ensemble s’estompant.

« Tout mon quotidien et toute mon organisation étaient réfléchis en intégrant le fait que j’appartenais à tout le monde »

Quand Madame Le Maire efface Camille 

Les responsables politiques en qui les Français ont le plus confiance sont les Maires. Ils entretiennent un lien de proximité avec eux, les rencontrent durant un rendez-vous à l’Hôtel de ville, les croisent lors d’inaugurations, de commémorations ou en faisant les courses. Il n’est pas rare que les habitants continuaient de solliciter Camille Pouponneau par téléphone, par mail, en soirée, pendant les week-ends et les vacances. Des échanges et messages parfois agressifs.

« Tout mon quotidien et toute mon organisation étaient réfléchis en intégrant le fait que j’appartenais à tout le monde » confie Camille Pouponneau dans son livre. Elle indique avoir mis sa carrière professionnelle et sa vie personnelle entre parenthèses « Camille n’existait plus et avait laissé place à Madame Le Maire ». 

Son épuisement psychologique puis une fatigue physique ont chamboulé sa vie. Afin de prendre soin de sa santé, elle ne voyait plus qu’une seule solution, ranger son écharpe. Le 17 octobre 2024, Camille Pouponneau annonçait donc sa démission. Ses lignes, elle les a écrites quelques semaines après avoir quitté ses fonctions. Elle glisse quelques préconisations à la fin de son livre et espère créer une prise de conscience.

Un témoignage saisissant.

Maires, le Grand gâchis, Camille Pouponneau, Robert Laffont 

Photo : Chapitre politique

Livre reçu en SP

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Karine Tuil décortique le pouvoir dans La guerre par d’autres moyens

Le dernier roman de Karine Tuil La guerre par d’autres moyens apparait presque comme une autopsie du pouvoir. L’écrivaine nous parle d’un ancien Président de la République dont l’aura et le prestige se ternissent au fil des mois qui passent.  Politique, cinéma, littérature, couple autant de sujets abordés par l’auteure dans ce livre.

Dan Lehman et la perte de repères

Président, Dan Lehman est battu au second tour de la Présidentielle. Il quitte alors l’Elysée et le pouvoir qui allait avec. Déjà fragile avec un penchant pour l’alcool, il perd petit à petit ses repères. Finalement qui est-il ? Quel est désormais son rôle à jouer ? Il devient terne, non pas transparent mais il ne capte plus la lumière de la même manière. Alors pour se donner le courage d’affronter ces journées fades, il boit. L’alcool rythme ainsi sa vie. 

Une effervescence dans son entourage

De l’autre côté, son entourage caché dans son ombre retrouve un coup de projecteur. Il y a son ex femme d’abord, écrivaine qui va voir sa carrière chamboulée. Sa femme actuelle Hilda, une actrice ne tournant plus retrouve le tapis rouge grâce à coup d’accélérateur. Quand elle renaît artistiquement et personnellement, son binôme lui s’éteint au fil des jours. Finalement ses proches alors dans son ombre se révèlent à mesure que Dan Lehman devient l’ombre de lui-même.

Des passerelles entre politique et arts

Karine Tuil évoque le pouvoir au travers d’un ancien Président de la République. Il est aussi niché dans le monde du cinéma. Un passage montre d’ailleurs une confrontation où les échanges sont tendus et où l’on peut percevoir que le pouvoir passe de l’un à l’autre en une fraction de seconde. Un affrontement d’idées donc comme une « guerre » entre ces deux domaines. La guerre aussi s’immisce entre cinéma et littérature, se voit dans les relations hommes-femmes et éclate dans l’ère post me too.

L’histoire est portée par différents personnages dont les destins se croisent avec toujours en filigrane un pouvoir mouvant, qui grandit ou se délite. Difficile de savoir qui ressort vraiment gagnant(e).

La guerre par d’autres moyens, Karine Tuil, Gallimard

Photo : Chapitre politique