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Châteaux de la République : Le trousseau de clés de Fabien Opperman 

Elysée, Lanterne, Fort-Brégançon sont les résidences officielles de la Présidence de la République, discrètes mais bien connues. D’autres « châteaux » jouent ou ont joué un rôle important. Fabien Opperman nous donne les clés de ces lieux avec son ouvrage sorti en 2019 Dans les châteaux de la République. le pouvoir à l’abri des regards  (Tallandier).

Parmi les résidences de la République, il existe bien entendu l’Elysée, palais référence en matière de pouvoir en France. Le Fort-Brégançon ou la Lanterne sont d’autres sites dont on entend parler. Le saviez-vous ? Certains « châteaux » sont aussi mis à disposition du Premier Ministre et du Ministre des Affaires Etrangères. Des résidences sont toujours utilisées, d’autres ont disparu du « catalogue ». Fabien Opperman nous fait franchir leur seuil au travers de descriptions et d’informations en s’appuyant sur des archives inédites et plusieurs témoignages. On déambule ainsi dans des endroits privilégiés où se jouent des épisodes marquants et moments privés.

Du faste à la désuétude

Nombreuses sont les résidences liées à la République et à des figures politiques. Leur nombre a évolué au fil des décennies. Commençons  par Versailles et plus précisément par le Grand Trianon et l’aile Trianon-sous-bois. Depuis la naissance de la République, des figures politiques ont investi ce décor royal. De Gaulle a notamment marqué de son empreinte ce lieu avec une restauration du Grand Trianon. Il a été d’abord délaissé en 1999 suite à la décision de Jacques Chirac puis abandonné sous Nicolas Sarkozy ayant confié la gestion à l’Etablissement public du Château de Versailles. Tout près, La Lanterne, qui elle est toujours d’actualité et où séjournent les Présidents de la République depuis 2007 tout comme la Fort-Brégançon dans le sud de la France.

Continuons la visite avec comme guide l’historien Fabien Opperman. Direction Rambouillet où se rendaient les Présidents l’été du XXe siècle jusqu’aux années 50. Son nom n’est aujourd’hui plus mentionné. Marly, un pavillon de chasse a quant à lui été rattaché à l’Etablissement public du musée et du Château de Versailles. Plusieurs résidences ont été données à l’Etat comme Champs-sur-Marne et Souzy-la-Briche. Le premier était devenu un incontournable où logeaient les chefs d’Etat africains en visite en France dès les années 60. 10 ans plus tard, il a été restitué au Ministère de la Culture. Nicolas Sarkozy a souhaité céder le second mais les dispositions testamentaires des époux Simon interdisaient un autre usage que résidentiel. 

J’ai découvert avec ce livre, Vizille. Le Président Doumergue s’y est installé en 1925 en été. « En décembre 1971, une loi de finances autorise l’Etat à céder gratuitement le Château au Département de l’Isère » nous apprend l’auteur.

En revanche, une autre résidence continue de voir les voitures arriver. Elle est rattachée au Quai d’Orsay. Le Ministre des Affaires étrangères dispose d’un pavillon à la Celle-Saint-Cloud.

On constate donc que certaines autrefois au premier plan sont tombées en désuétude.

Pouvoir, diplomatie, villégiature

Ces résidences ont été plébiscitées pour diverses occasions. Des hauts-lieux de pouvoir marqués par la diplomatie. Cela reste vrai sous les mandats d’Emmanuel Macron, car le Château de Versailles par exemple s’est transformé en salle de réception lors de la visite officielle de Charles III en France et le sommet Choose France s’y est de nouveau tenu il y a quelques semaines. Le Grand Trianon a été rénové sous le Général de Gaulle afin d’y recevoir les chefs d’Etat étrangers. François Mitterrand y a aussi organisé le sommet du G7. 

A Rambouillet s’est déroulé un G6 en 1975 durant le mandat de  Valéry Giscard d’Estaing. On l’a vu plus tôt, Champs-sur-Marne était aussi pensé comme un lieu diplomatique. La Celle-Saint-Cloud a été transformé en outil diplomatique et culturel par Laurent Fabius. Une dynamique arrêtée par Jean-Marc Ayrault. Depuis 2017, Emmanuel Macron y a organisé deux temps d’échange importants.

Rambouillet Marly et Chambord ont été les théâtres de parties de chasse. Jacques Chirac a supprimé les chasses présidentielles de Marly et Rambouillet. Souzy-la-Briche, le nom vous dit peut-être quelque chose ? Il a abrité la vie secrète de François Mitterrand ! Auparavant à la disposition du Président de la République, il a été attribué aux Premiers Ministres. Jean-Marc Ayrault y est venu quelques fois tout comme Bernard Cazeneuve. Vizille était aussi un lieu de villégiature mais qui n’a pas su convaincre les Présidents.

J’ai beaucoup aimé cette flânerie historique dans ces résidences où pouvoir, diplomatie et intrigues s’entremêlent. 

Dans les Châteaux de la République, le pouvoir à l’abri des regards, Fabien Opperman, Tallandier, 20,90 €

Photo : Chapitre politique

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Quinquennats Macron : L’Elysée, entre labyrinthe et phénomène de cour

Olivier Beaumont, journaliste au Parisien- Aujourd’hui en France livre une boussole face au dédale qu’est le Palais de l’Elysée. Sa manière d’observer les mandats d’Emmanuel Macron au travers des pièces est le fruit d’un travail d’un an et demi. Son enquête, La Tragédie de l’Elysée. Dans l’enfer des quinquennats Macron,(Robert Laffont) regorge d’anecdotes inédites recueillies auprès de 70 témoins environ dans un contexte politique plus que perturbé entre dissolution et changements de Premiers ministres.

365, c’est le nombre de pièces structurant le palais de l’Elysée. Soit autant que celui des jours dans l’année et on peut dire que le rapport au temps est très lié aux quinquennats d’Emmanuel Macron. Le Président de la République surnommé « le maître des horloges » a disposé dans son bureau un sablier millénaire et souvent une petite horloge amenée de salon en salon précède son entrée. Dans ce lieu donc, un tic tac qui s’affole souvent au moment de traverser des crises notamment les élections européennes et les législatives anticipées ainsi que l’instabilité « Matignon » avec une succession de Premiers Ministres ces derniers mois.

Une fourmilière isolée

L’ Elysée conduit à un isolement souligne Olivier Beaumont. La première explication tient de l’architecture. Une surface de 11 000 m2, un nombre de pièces impressionnant dans le bâtiment principal et deux ailes « Est » et « Ouest ». Des couloirs, des escaliers, nombreux bureaux dédiés aux conseillers, en clair un vrai labyrinthe. Emmanuel Macron dispose de deux bureaux, le premier officiel dans le salon doré, le second installé dans le salon d’angle pour le travail au quotidien. Tout le monde s’affaire «chacun dans son bureau, chacun dans son couloir » entraînant parfois un sentiment de « maison fantôme » comme le décrit un ancien conseiller. 

En ouvrant les fenêtres, il est quasiment impossible d’entendre les bruits de la ville, pourtant l’ancien hôtel d’Evreux est situé dans un quartier très animé de Paris à quelques mètres des champs-Elysées ! Une évolution dans des murs tricentenaires conduisant à un sentiment chez les observateurs d’une perte de contact avec l’extérieur. « Les français ne voient pas tout ce que j’ai fait pour eux. Ils ne m’aiment plus… » confie lui-même un jour devant un ami Emmanuel Macron. 

Un théâtre du pouvoir et des courtisans

Dans ce livre, une déambulation dans les quinquennats Macron au fil des pièces. Le Salon des ambassadeurs notamment où le conseil des ministres se tient chaque mercredi. On apprend que des brouilleurs de téléphones ont été installés par le locataire actuel afin de conserver les secrets de ce rendez-vous hebdomadaire. Malgré ce dispositif, des petites phrases lâchées par des participants finissent souvent dans la presse. Le palais de l’Elysée est donc une forteresse avec quelques fissures dans les murs ! 

Olivier Beaumont revient également sur la dissolution préparée en amont et non improvisée au soir des résultats des élections européennes. Tout était prêt, un Plan nommé « Clisthène » avait vu le jour secrètement, il visait à prévoir la narration de cette décision. Pour les Législatives anticipées, une bannière « Fédérations » était même envisagée réunissant les centristes et des élus de droite, rapidement abandonnée. D’autres discussions parfois tendues s’y sont aussi déroulées comme celles sur la loi immigration et la réforme des retraites. 

L’ Elysée laisse aussi vivre un phénomène de cour. Emmanuel Macron se trouvant au 1er étage, il faut donc emprunter les escaliers, une ascension vers le Président. De nombreuses personnes gravitent autour de lui et les regards convergent aussi vers le chef d’Etat. Certains bureaux de collaborateurs donnent sur la cour où chaque déplacement est scruté car c’est le seul endroit où ils peuvent apercevoir Emmanuel Macron, en effet ils le croisent rarement au quotidien. De plus, afin d’accéder à son bureau, il faut passer par celui du Secrétaire Général de l’Élysée qui était il y a encore peu de temps Alexis Kohler. Un vrai barrage à franchir. Alors la vie s’organise autour de la cour. On y voit les futures évictions et les adoubements. Un exemple ? Lorsqu’un conseiller auparavant convié dans la voiture du Président ne s’y installe plus, un signe que son départ est prochain ! 

Cet ouvrage se penche aussi sur le rôle de Bruno Roger Petit, conseiller mémoire et son influence dans l’aile Madame. Olivier Beaumont nous donne à voir un autre portrait d’Emmanuel Macron. Il dévoile plusieurs anecdotes jamais lues ailleurs, sur son côté épicurien, sur son travail, ses relations avec les Premiers Ministres. Une lecture que je recommande si on veut prendre le pouls du Palais de l’Elysée sous l’ère Macron.

La tragédie de l’Elysée. Dans l’enfer des Quinquennats Macron, Robert Laffont, 21 €

Photo : Chapitre politique

Livre reçu en SP

A lire également : Un essai passionnant sur la notion de « présidentiable »

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Une plongée au Quai d’Orsay, Ministère des Affaires étrangères

[Chronique en différé] C’est d’un ouvrage sorti en 2016 dont j’ai eu envie de vous parler aujourd’hui. Il s’agit de La Face cachée du Quai d’Orsay écrit par Vincent Jauvert. Une enquête fascinante sur ce haut lieu de la diplomatie française.

Le livre est sorti il y a près de 10 ans mais dans ce contexte international chamboulé, j’ai souhaité vous partager une enquête réalisée par le journaliste Vincent Jauvert. Son ouvrage La Face cachée du Quai d’Orsay. Enquête sur un ministère à la dérive (Robert Laffont) nous permet d’arpenter les couloirs de ce Ministère des Affaires étrangères installé à cette adresse depuis la moitié du XIXe siècle. En parcourant les pages, l’auteur nous dévoile aussi le travail et la manière de le faire des ministres qui se sont succédé sans oublier le quotidien des ambassadeurs.

Près de 25 Ministres des affaires étrangères sous la Ve République

Vincent Jauvert s’est appuyé sur les témoignages d’une centaine de diplomates qui étaient en activité ou à la retraite. Ce travail s’est déroulé au moment où Laurent Fabius occupait les lieux en tant que Ministre des Affaires étrangères. A lire 10 ans après avec un peu de recul donc où désormais le nombre de Ministre des Affaires étrangères s’élève à environ 25. Seulement deux femmes ont accédé à cette fonction : Michèle Alliot-Marie et Catherine Colonna.

On croise dans ce livre, Dominique de Villepin, Hubert Védrine, Philippe Douste-Blazy ou encore Bernard Kouchner. Dans son enquête, le journaliste révèle que trois ministres du XXIe siècle ont eu des « bourdes à répétition ». Parmi les exemples cités, confondre deux pays, être un « ministre à contretemps » ou enchaîner les maladresses faisant « soupirer les diplomates » Les relations avec le Président de la République et les nominations sont aussi abordées, entre tensions et désintérêt parfois.

Des révélations sur le quotidien d’ ambassadeurs

C’est aussi l’occasion de voir de plus près le travail des ambassadeurs, de leurs équipes. Secrets, anecdotes, scandales, logements, rémunérations sont évoqués. Vincent Jauvert se penche aussi sur une « poignée de diplomates » se retrouvant régulièrement près du Quai d’Orsay, des énarques à l’« influence bureaucratique » fluctuante. 

Tous les ministres « de Juppé en 1993 à Fabius en 2015 » ont souhaité redynamisé le Quai D’Orsay avec chacun une grande réforme. On referme ce livre sous le quinquennat de François Hollande. Plusieurs années se sont écoulées, même si l’enquête n’est pas sortie récemment, elle reste une manière de plonger dans les coulisses de ce lieu de pouvoir !

La Face cachée du quai d’Orsay, Vincent Jaubert, Robert Laffont

A lire également : Un essai passionnant sur la notion de « présidentiable »

Photo : Chapitre politique