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Ministère de l’intérieur : quand la « voix officielle » s’exprime

Au travers du récit immersif de Camille Chaize, on se glisse dans les habits de porte-parole au Ministère de l’intérieur. Un rythme effréné, des prises de parole scrutées de près, de nombreux déplacements et une proximité avec le monde politique. Un point de vue rare sur cette fonction illustré par Mathieu Sapin.

Camille Chaize a été porte-parole du Ministère de l’Intérieur pendant 5 ans. Elle a décidé de faire ses cartons au moment des législatives anticipées de 2024 et a démissionné en janvier 2025. En quoi son rôle a-t-il consisté à Beauvau ? Elle nous révèle son quotidien et nous livre également ses réflexions. Le tout, agrémenté d’illustrations signées Mathieu Sapin.

S’exprimer : Le poids des mots, l’équilibre d’une funambule

Camille Chaize a le sens de l’engagement. D’abord sapeur-pompier réserviste, elle est reçue ensuite à l’école des commissaires de police. Elle fait ses armes au sein du service communication de la police nationale. En 2019, elle franchit le portail du Ministère de l’intérieur. Elle y restera 5 ans comme voix officielle, la première femme à ce poste et la première qui n’est pas journaliste.

Ce livre est comme un « carnet de voyage » lui permettant de se retrouver après ce tourbillon où elle a eu la sensation d’être « composée de différentes pièces telle une mosaïque » confie-t-elle. A la lecture, on se rend vite compte de la difficulté de la tâche. Devenir porte-parole, c’est apprendre à jongler entre l’institutionnel et le monde politique. S’exprimer, éclairer, « maintenir la confiance entre l’Etat et les citoyens » en cherchant les bons mots, la nuance. Tous les jours, c’est être au confluent de l’administration et la politique. Elle explique avoir mis toute son énergie dans ce rôle exercé sous l’autorité d’un Ministre : Christophe Castaner, Gérald Darmanin puis Bruno Retailleau.

Elle est intervenue à la télévision, à la radio, sur les réseaux sociaux, a accompagné des journalistes durant des manifestations au plus près des forces de l’ordre ou s’est déplacée à Marseille pour la venue du pape ou lors d’actions liées à l’immigration.

Quel travail aux côtés de personnalités politiques ?

Son premier entretien s’est déroulé avec Christophe Castaner. Camille Chaize dit qu’il lui a fixé deux objectifs « Transparence et vérité ». 15 jours après sa nomination, Gérald Darmanin l’a reçue en entretien afin de lui demander notamment de réaliser des « vidéos percutantes » pour expliquer des actions ou des éléments importants aux Françaises et Français. Une question lui trotte en tête à ce moment, comment exister « dans l’ombre d’une personnalité aussi médiatique » ? se remémore-t-elle.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la porte-parole ne voit pas tous les jours le Ministre afin de faire un point, il est davantage avec ses conseillers. Elle participe à quelques réunions en sa présence, échange parfois des messages. Camille Chaize distingue leurs deux rôles. Le sien fondé sur des éléments afin que chacun se forge sa propre opinion. Le politique selon elle va « chercher à convaincre. »

Travailler au même endroit ne veut pas toujours dire être d’accord. « Les fonctionnaires nous sommes des non-alignés de la politique ». Elle parle plutôt de complémentarité. Deux habitudes l’ont particulièrement dérangée, celle d’une prise de parole ministérielle instantanée suite à un évènement et l’utilisation des « éléments de langage ». Sur cette problématique, elle dit s’être écartée de certains argumentaires préparés à l’avance et repris partout, un détachement salué selon elle par le cabinet. Un soutien qu’elle assure avoir aussi obtenu lorsque sa réaction dans les médias n’a pas plu à un syndicat de police. Elle considère que les personnalités politiques peuvent prendre plus en compte la réalité que l’administration sur certains sujets.

Et un planning chamboulé régulièrement, avec des interventions programmées au dernier moment en fonction de l’actualité : Covid, émeutes,…et des repas en famille ou entre amis qui n’iront pas jusqu’au dessert. De nombreux voyages aussi, et pas toujours accompagnée par le Ministre et ses conseillers. Une nage en eau vive donc.

Quand son expérience nourrit ses réflexions 

Camille Chaize puise aussi dans son expérience afin de partager des réflexions sur diverses thématiques. La féminisation de la police et de la gendarmerie y est évoquée. Même si elle y voit des avancées, elle constate que du chemin reste à parcourir particulièrement sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. 

En 2022, le périmètre du Ministère de l’Intérieur a été élargi aux Outre-Mer. Elle s’est donc rendue en Guyane, en Guadeloupe, à Mayotte ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon. Elle y observe que ce sont les premiers territoires français a être fortement impactés par le changement climatique. 

Elle consacre plusieurs pages aux Préfets. Elle les a notamment conseillés, les aidant dans leur communication. « L’impartialité et l’apolitisme des préfets sont essentiels. Ils ont la neutralité de l’Etat qui rassemble pour régler les différends […] En faire des sujets politiques, constituerait un grand danger démocratique qui sonnerait le glas de l’intérêt général qui les guide actuellement » argue-t-elle.

L’instabilité politique l’a incitée à démissionner. Après les élections européennes, et l’annonce de la dissolution, elle se prépare à partir car si le RN arrive au pouvoir elle ne se voit pas continuer. Cela ne s’est pas produit mais elle a quand même quitté Beauvau. Elle s’interroge sur les changements que cela produirait dans son administration.

Camille Chaize nous dévoile une autre facette du Ministère de l’Intérieur en retraçant son parcours en tant que porte-parole. Une fonction médiatique et restant pourtant dans l’ombre. A conseiller à celles et ceux souhaitant en savoir plus sur ce rôle moins connu !

A lire également  : Livres sortis en mai/juin

Porte-parole. Réflexions personnelles de la voix officielle du Ministère de l’Intérieur. Camille Chaize, dessins de Mathieu Sapin, Editions Novice, 22,90 €

Livre reçu en SP

Photo : Chapitre politique

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Pour Clément Beaune la politique reste « belle »

Clément Beaune désormais Haut-Commissaire au Plan a publié en février dernier Je dirai malgré tout que la politique est belle chez Stock. L’ancien Ministre se confie sur son parcours de l’Elysée aux Ministères et s’appuie sur son expérience afin de proposer des pistes pour l’avenir.

La politique dès l’enfance

Clément Beaune se livre sur la place de la politique dans sa vie et revient sur le moment où il a fait le « grand saut ». Enarque, il a d’abord fait partie des conseillers d’Emmanuel Macron au Ministère de l’Economie puis a participé à la campagne présidentielle. Il a ensuite été nommé conseiller spécial à l’Elysée sur l’Europe.

La politique a toujours été un sujet de discussion pendant les repas de famille durant son enfance. Et l’envie de jouer un rôle de premier plan s’est accentuée au fil des années. Après quelques déconvenues, Emmanuel Macron lui lance « Tu veux toujours faire de la politique ? ». Il fait alors son entrée au gouvernement en tant que Ministre délégué chargé de l’Europe puis il deviendra plus tard Ministre des transports. 

Une impression d’avoir « vécu en double »

Sa sortie du gouvernement correspond à son opposition à la Loi immigration. Il se rémémore cet épisode et donne les coulisses de son départ entre rumeurs et hésitations. En étant Ministre, Clément Beaune confie avoir eu l’impression « d’avoir vécu en double, d’avoir appris en triple » pendant ces 43 mois. Autre épisode marquant, la dissolution, il explique avoir été informé…en direct sur un plateau TV. Cette décision a selon lui conduit à une « immaturité politique généralisée ».

Sur sa vision de la politique, il argue qu’elle « est sale car changer un monde sale implique de se salir et belle parce qu’elle accepte de décrasser le monde sans nier sa noirceur ».

« La maladie présidentielle »

Depuis la Villa Médicis à Rome où il a écrit son livre, Clément Beaune s’est penché sur ce qu’il appelle « la maladie présidentielle ». Il déplore que tout soit tourné vers le Président de la République, les remontées de terrain qui pourraient être adressées à d’autres interlocuteurs, les reproches et les ambitions. « Il est en France bien plus fréquent et bien plus commode de charger le Président actuel ou de se préparer à le devenir que de mettre les mains dans le cambouis du réel et du quotidien. La maladie présidentielle nous tue ». 

Ainsi, il espère plusieurs évolutions comme inverser le calendrier Présidentielles/législatives, revaloriser le Parlement en passant au mode de scrutin proportionnel intégral. Dans son plaidoyer également, des référendums annuels. 

Son regard de Ministre des transports afin de proposer des pistes

Clément Beaune souligne avoir vu de près le problème des services publics lorsqu’il était Ministre des Transports. Pour lui, les trains « Intercités » incarnent ce « symbole du mal français ». Les usagers se sentent délaissés par rapport à ceux du TGV en raison du manque d’investissement sur ces lignes. En renforçant et développant des services de proximité qualitatifs plutôt que certains grands projets, il y aurait selon lui moins de vote aux extrêmes. Il partage ainsi des idées à mettre sur les rails comme le recrutement de soignants étrangers francophones et l’augmentation des effectifs dans plusieurs services publics. 

L’ancien Ministre consacre aussi des chapitres à l’écologie ou encore à la souveraineté de l’Europe et insiste sur la nécessité de mener des politiques écologiques et migratoires à l’échelle européenne. Il partage aussi son avis sur la place du symbole en politique. 

250 pages entre vécu personnel et perspectives.

Je dirai malgré tout que la politique est belle, Clément Beaune, Stock

Photo : Chapitre politique

Livre reçu en SP

A lire également : 5 livres à retrouver chez les libraires en Avril

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Maires, le grand gâchis : le témoignage fort de Camille Pouponneau

Camille Pouponneau est devenue Maire de Pibrac en 2020, commune de 9000 habitants située près de Toulouse. Une fonction que l’élue trentenaire portait à bout de bras avant d’arriver à bout de souffle. Dans Maires, le Grand Gâchis publié chez Robert Laffont, elle parle de son engagement heurté par de multiples contraintes et de l’épuisement la conduisant à renoncer à son mandat.

Depuis les élections municipales de 2020, 2400 maires ont démissionné. Parmi eux, Camille Pouponneau. Ce livre « ne prétend aucunement énoncer une vérité, il est ma vérité » tient à souligner l’auteure dès les premières pages de Maires, le Grand Gâchis. Au travers de son témoignage, l’ancienne édile de Pibrac veut lever le voile sur le quotidien intense et compliqué de ces 35 000 élus en France. Elle brise aussi le tabou sur la santé mentale.

Un engagement impacté par une palette très large d’obstacles

Petite, Camille Pouponneau répondait « Présidente de la République » lorsqu’on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard. Après des études à Sciences Po, son envie de s’engager pour l’intérêt général s’est d’abord concrétisée en devenant Conseillère Départementale. Puis elle s’est lancée comme candidate aux élections municipales de Pibrac et a battu le Maire sortant. Portée par ses convictions et prête à mettre son énergie au service de sa commune, elle a pris place à l’Hôtel de ville où elle a adopté très vite un rythme soutenu en effectuant 70h par semaine. 

Elle raconte comment le chemin vers chaque décision, chaque projet est jonché d’obstacles.  Nombreuses normes à respecter, dialogue compliqué avec l’Etat en raison de plusieurs interlocuteurs, manque de moyens, intercommunalité au rôle prépondérant, autant de difficultés qu’elle décrit. Et un sentiment apparu au fil des mois : « l’impuissance ». Autre constat de Camille Pouponneau, un intérêt personnel prenant le pas sur l’intérêt général chez les citoyens et comme conséquence directe un vivre-ensemble s’estompant.

« Tout mon quotidien et toute mon organisation étaient réfléchis en intégrant le fait que j’appartenais à tout le monde »

Quand Madame Le Maire efface Camille 

Les responsables politiques en qui les Français ont le plus confiance sont les Maires. Ils entretiennent un lien de proximité avec eux, les rencontrent durant un rendez-vous à l’Hôtel de ville, les croisent lors d’inaugurations, de commémorations ou en faisant les courses. Il n’est pas rare que les habitants continuaient de solliciter Camille Pouponneau par téléphone, par mail, en soirée, pendant les week-ends et les vacances. Des échanges et messages parfois agressifs.

« Tout mon quotidien et toute mon organisation étaient réfléchis en intégrant le fait que j’appartenais à tout le monde » confie Camille Pouponneau dans son livre. Elle indique avoir mis sa carrière professionnelle et sa vie personnelle entre parenthèses « Camille n’existait plus et avait laissé place à Madame Le Maire ». 

Son épuisement psychologique puis une fatigue physique ont chamboulé sa vie. Afin de prendre soin de sa santé, elle ne voyait plus qu’une seule solution, ranger son écharpe. Le 17 octobre 2024, Camille Pouponneau annonçait donc sa démission. Ses lignes, elle les a écrites quelques semaines après avoir quitté ses fonctions. Elle glisse quelques préconisations à la fin de son livre et espère créer une prise de conscience.

Un témoignage saisissant.

Maires, le Grand gâchis, Camille Pouponneau, Robert Laffont 

Photo : Chapitre politique

Livre reçu en SP

A lire également : Les dessous des discours politiques par Mickaël Moreau